Fables
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Elle a expliqué à Maurice ce qu'étaient les instructions, étranges peut-être mais impératives, de Sylvain à propos du cérémonial des abeilles. L'adieu aux abeilles qu'il était grand temps d'accomplir. Bah ! dit l'autre, la belle affaire, je m'en occuperai, moi, de tes abeilles. Mariette objecte que c'est à elle qu'on a demandé d'assumer, pas à lui, de telle sorte qu'une substitution de personne serait inconvenante. Mais l'autre, le fier-à-bras, est de ceux qui n'ont jamais hésité devant les obstacles... Quand il se présente, le matin suivant, devant les sept ruches avec la trique trouvée dans la remise, Maurice affiche une fierté de chevalier partant pour la croisade. Levant son bâton au-dessus de la première ruche, il en assène un solide coup et s'exclame : Votre maître est mort ! Il aborde à peine la troisième qu'il est submergé d'abeilles, sa tête et ses épaules soudain disparaissant sous un essaim visiblement furieux. Il se débat tant bien que mal, choisit heureusement la fuite qui lui épargnera le pire et, au bout du compte, il s'en tire avec quelques piqûres qui valent instantanément leçon d'humilité. Et ces dames lui prodiguent compresses et réconfort, décidément que deviendrait-on sans elles ?
Mais filez-y bien vite, dans les minutes dérobées de ces pages. Car revoilà Alexandre Voisard dans l'élan du poème. Dans un instant, vous suivrez le chant des jours. Celui qui exhausse le quotidien. Celui qui passe furtivement dans le ciel. Celui qui tout à coup craque dans l'air. Comme un salut. Histoire de nous dire que nous ne sommes pas que cela. Qu'il y a d'autres choses qui se disent, quand le temps du quotidien se parle et qu'il s'écoute au guet d'un craquement de branche, du passage de la corneille, à l'heure de la reine Claude ou dans la marche arrêtée du berger. Comme l'amour qui pour tout le jour pétille dans la phrase du matin. Allez, vous dit-il en ces pages, allez, " rattrapez l'aventure ". Celle qui est d'ici. Dans le plus proche. Celle qui vient dans l'imprévu de la patience et qui tout à coup monte, libère son horizon. Une allée ascendante, pour plus loin...
" ... Au rendez-vous des alluvions réunit des notes souvent prises sur le vif entre 1983 et 1998. Où l'on se rend compte que la poésie est partout, dans les murmures de la nature comme dans un troquet de Strasbourg. Où la forme le plus souvent brève concentre toute la puissance du verbe. On pense bien sûr aux haïkus, ces merveilles de la poésie japonaise. Le poète, fidèle à ce qui a fait son oeuvre, nous invite dans ses balades, ses rencontres avec l'épervier, les biches, l'hermine. Mais aussi dans ses émouvants souvenirs de visites à René Char, le poète admiré qui rompra toute relation pour d'obscures raisons. En prose ou en vers, le regard se fait souvent ironique, les mots espiègles. Ce qui est passionnant dans ces carnets, c'est de voir le poète au quotidien, toujours à l'affût de ce qui peut nourrir l'oeuvre : "Je traque les signes qui parfois s'organisent en signaux. Saisir les signes de poésie, être attentif à ce qui clignote et reste cependant invisible." Un travail de la patience et d'attention au réel, parce que "la "bonne poésie" pourrait être celle qui impérativement ramène au réel. Sinon quoi?"" Eric Bulliard